DE LA RESPONSABILITÉ DES NATIONS UNIES
En 1998, une journaliste Kosovare écrivait ceci à propos de
l’indépendance possible de son pays : « Imaginons maintenant que
nous sommes déjà indépendants : que ferions-nous des quatre premiers
mois ? Pendant les 120 premiers jours, nous allons peut-être définir les
contours de notre société pour les 120 ans qui suivront. Ce sera la répétition
générale d’une pièce dont j’espère que ce ne sera ni une tragédie ni une
comédie…le vaisseau de ce nouvel Etat va-t-il aller droit à la tempête, tandis
que nous nous battons autour du gouvernail, ou saurions-nous évaluer d’où vient
le vent afin de choisir le meilleur cap ? »
Cette sage interrogation m’a amené à méditer, une fois de plus, sur les
défis qui attendent les peuples et les nations après leur émancipation. Le film
de Raoul Peck consacré à Lumumba montre
la joyeuse insouciance des élites congolaises au moment de l’indépendance alors
que se documentaient dans des cabinets secrets un complot permanent contre la
jeune nation, et que des fils du « Congo libre » se préparaient eux
aussi à se livrer au dépeçage de la nouvelle République.
L’histoire tragique de notre pays ne fait que rendre plus dramatique
cette question de la responsabilité des peuples face à leur destin. Deux cent ans
d’instabilité ponctués de rares éclaircies n’ont fait que ruiner et avilir les
prétentions affichées par le Nouvel Etat d’Haïti. Une lecture de la presse quotidienne du début du
siècle montre comment notre société se laissait glisser bien fatalement dans le
gouffre de l’occupation. Pourtant, les avertissements n’ont pas manqué et les
bruits de bottes étrangères ont été assourdis par les pétarades incessantes de
nos propres carabines.
De l’explosion mystérieuse du palais national sous Cincinnatus Leconte,
à la fusillade spectaculaire de Coicou et de ses compagnons par une ces
nombreuses « nuits voraces » qui nous sont coutumières ; sans
oublier le terrible massacre de la prison sous le commandement de Charles
Oscar ; la coupe de sang était assez pleine et la dérive assez provocante
pour justifier une intervention des donneurs d’ordre du continent.
La deuxième moitié du 20e siècle a vu l’écroulement des
utopies populiste et élitiste dans un pays de plus en plus exsangue. Un nouveau
réalisme nous porte à observer que la mise en place de la démocratie n’est pas
chose aisée dans un société souffrant de « pathologie convulsive » et
d’anarchie institutionnelle. On continue peu ou prou à se battre autour du
gouvernail, gare à la direction du navire. Ce que nous devons savoir, c’est que
les institutions les plus démocratiques dans leur essence peuvent être
perverties si nous nous laissons aller par atavisme culturel à la personnalisation
des conflits et à la multiplication des chapelles n’ayant pour seul crédo que
la personne des uns ou des autres. Pourquoi pas une grande cathédrale ou,
autour de l’autel de la patrie, commencerait vraiment, tiens, le dialogue
national dont on parle de moins en moins.
Les exercices de dialogue et de maîtrise d’ego réalisés par l’exécutif et le législatif, lors de « l’agaçante » crise institutionnelle de la semaine écoulée, sont à amplifier pour emporter les dernières méfiances dans une société ou la négociation est souvent suspecte. Histoire quand tu nous tiens !
Roody Edme