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AILLEURS VU D'ICI (depuis Haïti)
AILLEURS VU D'ICI (depuis Haïti)
  • Un blog d'analyse de l'actualité en Haiti et à l'étranger - des sujets en rapport avec l'Afrique seront aussi abordés. Certains textes ayant rapport avec les littératures du monde seront aussi traités.
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7 janvier 2008

DE L'EXEMPLARITÉ


Global Voices en Français

« Se lè ou mouri yo rekonèt valè ou » proclame non sans une certaine vérité une chanson tube haïtienne. Cela tend progressivement à changer depuis les initiatives du journal Le Matin de désigner des personnalités de l’année et celle de la revue Vues d’Haïti et de la Fondation Françoise Canez Auguste d’honorer les « trésors nationaux vivants ». Ce qui rend crédibles ces initiatives c’est qu’elles paraissent s’éloigner de cette lourde tendance de chez nous à se congratuler entre copains et à pratiquer le tir groupé contre tous ceux qui ne relèvent pas d’un certain sérail.

Que de reconnaître enfin le travail inlassable de vulgarisation scientifique d’un Kesner Pharel qui passe trop facilement pour le chantre d’un certain libéralisme n’exclut pas que, dans la même soirée, l’on honore sur le même podium le frère Franklin Armand des Petits Frères de l’Incarnation, plus idéologiquement proche de la pensée d’un Don Helder Camara. Ce sont tous deux des Haïtiens qui cherchent dans la science et le travail social et à travers une certaine culture des résultats à transformer le paysage économique et social de leur pays. L’un à travers le Group Croissance tente de montrer que la modernité de ce pays n’est pas fatalement une chimère ou un serpent de mer, l’autre, à coups de lacs collinaires et de fermes paysannes modernes, de prouver qu’on peut prêcher ailleurs que dans le désert.

Que dire de ces deux savants que sont Marie Marcelle Deschamps et le Dr Bill Pape qui ont, sur le front du sida, conquis au nom du peuple haïtien quelques brillantes victoires qui nous ont valu une certaine considération internationale et qui ont surtout sauvé de précieuses vies en dépit de l’acharnement « scientifique » des uns et des autres à vouloir nous faire porter l’anathème. Rappelons que Le Matin leur avait rendu hommage dans un numéro spécial consacré à la lutte contre le sida le 1er décembre 2006.

Il y a quelque chose qui change dans ce pays qui s’est fait une réputation de mangeur de femmes et d’hommes, où le scandale, le dénigrement, l’auto flagellation et l’avilissement participent souvent d’une jouissance malsaine et qui aboutit à cette phrase dérisoire : « pa gen anyen ki serye ». Une phrase-culte qui justifie toutes les traîtrises et les coups bas et qui vient en écho aux autres qui vont clamer dans les colonnes de journaux complaisants que nous souffrions d’une incompétence presque congénitale et que depuis plus de deux cents ans ce pays n’a rien fait qui vaille.

Certes, cette société a besoin de se regarder dans un miroir, de se livrer sans complaisance à une remise en question de ses facéties jadis dénoncées par le quatuor des écrivains réalistes de la ronde, mais il a aussi besoin de modèles, de vrais, qu’on aura le courage de reconnaître avant d’hypocrites célébrations post-mortem.

Des modèles qui ne seront ni des dieux ni des « souris » mais des Hommes, d’une humanité qui chercherait en se colletant au réel à se dépasser et qu’on offrirait en exemple, non pas pour détourner leurs actions en les caricaturant en super héros ou en momies vivantes, mais pour valoriser les idées qu’ils ont toujours servies…et que d’autres peuvent accomplir dans leur travail ou dans leurs études, ici ou en diaspora. L’exemple des grandes actions, selon le philosophe Kant, prouve tout ce que peut prouver un exemple, à savoir, non pas qu’elles peuvent être accomplies par tout homme, mais qu’il n’est pas impossible de les accomplir, puisqu’il en existe au moins quelques-unes. L’exemple des grandes actions prouve que si grand, si pur, si difficile que soit le devoir, il n’est pas impossible de le faire.

Ceux qui étaient distingués ce 30 décembre brillaient par leurs CV et surtout leur humilité. Ils se savaient des élus dans un pays où l’analphabétisme fait encore rage et l’émotion qui se lisait sur leurs visages traduisait cette idée qu’il en est du mérite comme de l’innocence : il se perd dès qu’on s’en repaît. Notre société va-t-elle prendre enfin ses distances avec cette formule qui veut que la reconnaissance soit une lâcheté et donner à nos jeunes des modèles à suivre, ou à dépasser, un peu comme aux Etats-Unis où tout brillant professeur de sciences rêve d’être un « Ruth Davis professor of maths » ou « Linus Pauling professor of chemistry » du nom de chercheurs qui marquèrent leurs disciplines.

Les initiatives comme celles du 30 décembre doivent avoir un relais institutionnel pour que les générations montantes sachent que ce pays n’est pas fait que de crimes et de kidnappings, que, derrière les rues du Dr Audin ou Dantès Destouches, on a voulu célébrer de brillants scientifiques. Et que l’armée d’Haïti, entre autres, n’a pas connu que des officiers traîneurs de sabres…il y eut Paul Laraque, poète et officier, Kern Delince, officier et essayiste et une pléiade d’autres qui avaient de ce corps d’armée une haute idée.
À travers ces initiatives, nous avons besoin de savoir et de retenir « ke nou la e nou pa toujou lèd ».

Roody Edmé

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