" Des Fruits d'une Mobilisation "
La Police nationale a déclenché ces derniers jours des opérations d’une
haute sophistication incluant des réseaux d’informateurs, des filatures
systématiques, des enquêtes minutieuses et l’arrestation, au bout du
compte, de plus d’une quinzaine de caïds du kidnapping.
Il
y a, bien sûr, le précieux support de la police des Nations unies qui
encadre sur le terrain les opérations souvent risquées de nos unités
spécialisées. Il y a eu surtout cette mobilisation qualitative de la
société haïtienne dont le frisson civique avait ému certains de nos
éditoriaux. Il fallait au lendemain de l’assassinat du jeune Kareem
battre la générale et dire « oui à la mobilisation » !
Une
mobilisation reprise quelques jours plus tard dans le grand Nord, qui
vit la ville du Cap porter haut le flambeau du refus de l’infamie et
exprimer face au monde l’existence d’une conscience civique haïtienne.
Le
point fort de la mobilisation réside dans le suivi que les
organisateurs de la marche ont bien voulu donner à leur initiative. Le
samedi suivant la marche, une émission relayée par tous les médias de
la capitale analysait le phénomène dans ses multiples facettes, tandis
qu’au Parlement, à la Chambre de commerce et au Palais national se
multipliaient les sessions stratégiques, même si certaines se
terminaient un peu lamentablement. Mais le momentum était maintenu et,
face au danger commun, la population haïtienne éprouvait ses capacités
de réaction.
Aux dernières nouvelles, le secteur syndical
travaillerait avec le CSPN sur les voies et moyens d’une coopération
des chauffeurs de transport public avec les forces de sécurité. Et l’on
parle de plus en plus de la mise en place d’un système d’alerte
national anti-rapt qui mettrait à contribution les médias. Les
compagnies de téléphonie mobile travaillent activement à
l’identification de la clientèle et se préparent sous les injonctions
du Conseil national des télécommunications à collaborer avec les
services de sécurité.
Toute chose qui remplit d’espoir une
population martyrisée par un phénomène récent dans notre vie sociale,
mais qui s’est abattue sur nos têtes avec soudaineté et une rare
violence. Tant et si bien que la rapidité avec laquelle certains de nos
quartiers les plus sensibles ont été passablement pacifiés, par les
forces de l’ordre, puisqu’il s’y déroule régulièrement des activités
culturelles et récréatives, montre, comme dirait un homme politique
décédé, que le miracle haïtien est possible.
Sans être un
commissaire à l’enthousiasme, je pense qu’on a besoin de croire et de
travailler à la réversibilité de nos malheurs, et les quelques rares
fois qu’on a bien voulu appliquer la formule historique « l’union fait
la force », on est parvenu à surprendre le monde. Il faut bien de temps
en temps qu’on se rappelle les paroles rafraîchissantes d’une
Christiane Tobira pour arrêter de gaspiller non seulement un héritage
mais un potentiel aujourd’hui encore insoupçonné.
Il reste la
volonté politique pour changer le visage de la justice, une justice
bancale, mais qui compte dans ses rangs des femmes et hommes honnêtes,
qui attendent un signal non équivoque du côté des pouvoirs constitués
pour sortir du syndrome « des animaux malades de la peste ».
Il
reste aussi qu’on avance enfin sur le dossier du gouvernement dont il
faut pourvoir ce pays et qu’on arrête de faire souffrir ce peuple sous
prétexte de sauvegarder ses intérêts, qu’on arrête de faire de la
politique haïtienne « une course d’obstacles » en descendant en flammes
tous ceux qui aspirent à un poste de responsabilité.
On aura besoin,
en appui à la lutte contre l’insécurité, d’un plan d’urgence, pour nos
quartiers sensibles, dont la rage est simplement contenue et dont le
souffle volcanique nous a mordu la peau un matin d’avril baptisé
d’émeutes de la faim. On aura surtout besoin qu’une nouvelle équipe se
penche sur la porosité de nos prisons, laquelle menace de manière
intermittente la paix des rues. Il paraît que les tractations actuelles
appelées pompeusement négociations, « Ô qu’en termes pudiques, ces
choses-là sont dites », trouvent leur pierre d’achoppement dans les
problèmes de partage du pouvoir.
Seulement à vouloir toujours
saper, il risque de ne plus avoir rien à partager. Et les réserves
humaines de la République, en dépit des ambitions des uns et des
autres, ne sont pas inépuisables.
Roody Edmé