Le temps des outsiders
Jacques Julliard, dans un article publié dans Le Nouvel Observateur et qui a pour titre « Le temps des outsiders », questionnait la tendance mondiale à l’émergence de nouveaux leaders porteurs de rupture d’avec la politique traditionnelle.
En France, la candidature de Ségolène Royal, obtenue sous pression de la base du PS, annonçait une nouvelle vigueur pour la « rose » socialiste qui avait sensiblement pâli depuis la déroute de Lionel Jospin face à la « marée brune » lepéniste.
Si Ségolène a échoué, c’est toujours au nom de la « rupture » que Sarkozy a pris le pouvoir, et son activisme politique, sa réputation de « brasseur » d’événements ont donné au peuple français la sensation de bouger et de sortir d’une certaine torpeur induite par les mouvements lents de sumotori d’un Jacques Chirac.
Le même scénario pour des changements inattendus s’est produit dans les mairies de Londres et de Rome. Tout se passe comme si une secousse tellurique venue des entrailles des partis politiques occidentaux bouleversait les calculs d’état-major et faisait capoter la notion même de leadership traditionnel.
Barak Obama est l’exemple étourdissant de la révolution dans le leadership politique de la plus grande puissance du monde. Le leader noir inspire aujourd’hui le monde entier, un monde qui se prépare à l’accueillir dans le cadre d’une tournée qui a déjà commencé dans des régions à haut risque dans le proche et extrême orient. L’obamania s’est emparé de la planète, signe que le politique est à la recherche d’un second souffle.
L’irruption des masses un peu partout dans le jeu politique a remis au goût du jour les questions sociales et forcé une technostructure au Nord comme au Sud à revoir les problématiques liées à l’agriculture, au rôle stratégique de l’État et à une nouvelle éthique environnementale.
Le fameux temps des outsiders serait donc un puissant coup de bélier de la démocratie participative dans le jeu politique traditionnel et le fait, marquant, de millions de marginaux spécialement en Amérique latine qui s’invitent au festin de la planète.
Une Amérique latine dont
certains pays connaissent une croissance dopée par la hausse des
produits énergétiques. Selon les experts, la tonne de cuivre est passée
de 3 000 dollars en 2004 à 8 000 en 2006, permettant à un pays comme le
Chili de se mettre sur une rampe de lancement pour devenir un pays
émergent.
Aussi, les peuples du cône sud de l’Amérique entendent
par la participation réclamer leur dû de la pactole que constituent les
immenses réserves en hydrocarbure qui gisent sous leurs pieds.
En
Haïti, la candidature d’une femme qui a longtemps milité avec les
groupes de base au poste de Premier ministre a suscité une mobilisation
citoyenne qui pourrait à terme apporter une bouffée d’air frais à un
environnement sociopolitique vicié par la crise alimentaire et les
grandes manœuvres pour 2011.
Si certaines personnes la considèrent
comme « une Jeanne d’arc montée à l’assaut de citadelles sexistes »,
d’autres plus prosaïquement y voient une militante dont le parcours
éprouvé dans la société civile pourrait initier une autre politique au
sein de l’appareil d’État.
En ce sens, Michèle Pierre-Louis est un « outsider » qui pourrait arriver au pouvoir sans venir du milieu officiel des partis politiques, mais qui ne saurait réussir sans l’appui de ces derniers. Des partis politiques souvent critiqués pour leur impuissance à changer la donne, mais qui demeurent indiscutablement les outils par qui le changement devra se faire. Mais comment ?
À ce propos, l’économiste et chercheur Philippe Rouzier a bien voulu partager avec nous une réflexion sur ce qu’il a appelé les « national Issues ». Les enjeux et objectifs d’une politique de la participation qui devrait renverser les paradigmes traditionnels de la politique, pour des solutions concrètes sur vingt ans à un ensemble de problèmes clés à résoudre. Un pari qui consisterait à établir un lien constant et dialectique entre efficacité technocratique et justice sociale, entre planning stratégique et adhésion populaire.
Car, pour
que les solutions soient efficaces, il faut que les gens se les
approprient et les solutions une fois offertes deviennent l’engagement
de tous, souligne Philippe Rouzier.
La modernisation de nos partis
politiques passe par l’implication de tous les citoyens dans le jeu
politico-stratégique, à un titre ou à un autre... « Les solutions aux
enjeux principaux sont le lieu des stratèges qui savent lire les défis
derrière les expressions les plus diverses de la vie publique ».
Si
Michèle Pierre-Louis est ratifiée par la Chambre haute, elle devra
travailler avec un secteur jeune et populaire qui réclame sa
participation et, aussi, avec les partis politiques sans exclusive, du
plus « populaire » au plus « élitiste ».
En vérité, il n’y a aucune
raison pour qu’il y ait un saucissonnage du temps politique, si l’on
veut éviter toute distraction par rapport aux enjeux nationaux. Nous
sommes en présence d’une fenêtre d’opportunités qu’il ne faudrait pas
fermer par maladresse ou par un orgueil mal placé.
Roody Edmé