Antilles : la soufrière sociale !
Depuis le 5 février, une grève générale secoue la Guadeloupe et semble
remettre en question les fondements d’un pacte social qui n’a pas
beaucoup évolué depuis le référendum de décembre 2003 sur les questions
de statut et de responsabilité locale aux Antilles. La vie «
menteusement souriante » , comme dirait Césaire, craque sous les coups
de boutoir répétés de la crise économique mondiale et les vices
inhérents à un dialogue social en panne pour ne pas dire inexistant.
La
vie chère est le nouveau monstre qui terrasse les bourses familiales et
réduit en un pot de chagrin la qualité de vie des Antillais. Car la
Martinique, elle aussi, est entrée en rébellion contre « l’exploitation
outrancière » de quelques familles de békés et les profits « indécents
» des compagnies pétrolières eu égard à la hausse inconsidérée des prix
de l’essence.
Le mouvement, qui s’étend de façon contagieuse, à tout
l’arc antillais a pris de cours les politiques toutes tendances
confondues. Derrière les revendications pour une hausse des salaires
les plus faibles et une baisse des prix sur six cent produits de grande
distribution se cache un mal profond dissimulé jusqu’ici par la
perfusion financière de l’État providence gaulliste mis a mal par la
révolution ultralibérale de ces dernières années.
De plus, un grand
sentiment d’injustice alimente cette «soufrière» sociale dont le magma
se propage jusqu’à l’Île Réunionnaise. La déclaration raciste et
inopportune d’un grand propriétaire béké sur l’incongruité du mélange
des races qui dérangerait une certaine harmonie sociale…nous renvoie
presqu'au « temps béni de la colonie ».
Dans une interview au
quotidien Le Monde, l’historienne Françoise Vergès commente : «
L’outre-mer reste en France un continent oublié…les gouvernements qui
se sont succédés à Paris ont toujours favorisé l’assistanat plutôt que
la responsabilisation…aujourd’hui l’emploi se concentre dans le secteur
marchand qui souffre de la mondialisation et la fonction publique». Et
madame Vergès de poursuivre « l’avenir de ces sociétés ne peut pas se
penser dans une relation exclusive avec la métropole, mais doit
s’inscrire dans la région ».
La mobilisation actuelle jamais vue
auparavant s’articule autour d’une alliance entre les secteurs
syndicaux et le mouvement culturel dans son sens le plus large, avec
pour noyau un collectif contre l’exploitation, L K P (Lyannaj kont
profitasyon), et la contestation vise à sauvegarder les intérêts des
plus vulnérables, ceux qui, selon le poète, connaissent « les moindres
recoins du pays de la souffrance » et qui sont rendus fous par le
manège économique actuel.
Le quasi-naufrage du système bancaire
international oblige les gouvernements à agir pour protéger la haute
finance au grand dam des consommateurs qui s’estiment doublement
victimes d’une crise dont ils ne sont guère responsables alors qu’ils
doivent payer la lourde note de frais. L’apport massif d’argent public
dans les banques censé leur permettre de renforcer leurs ressources
afin de les inciter à distribuer des crédits, si elle est nécessaire,
ne rassure nullement le monde du travail qui accuse certaines
entreprises de révoquer à tour de bras au moindre soupçon de difficulté.
Le
gouvernement français vient d’annoncer la création sans délai d’un
groupe ministériel sur ces épineuses questions, et le président Sarkozy
semble comprendre que la crise est éminemment politique et renvoie à la
question de la diversité et de l’égalité des chances.
Pas très
loin de l’archipel antillais, en Amérique du Nord, il se passe des
choses qui interpellent sur le caractère progressiste de l’intégration
et de la participation.
Et c’est cela aussi que semble traduire ce «
gigantesque pouls sismique » dont les ondes de choc résonnent jusque
dans l’Hexagone.
Roody Edmé