« Mur à crever »
Vingt ans après la chute du Mur de
Berlin, un peu partout dans le monde, on revient sur un événement qui
changea le visage de la planète. Le 9 Novembre 1989, consacra le début
de l’implosion du bloc communiste sous l’effet de forces irréversibles
venues des fondements populaires des sociétés est-européennes. Ce
mouvement fascinant et irrépressible surprit dans son aboutissement les
spécialistes de la guerre froide des universités occidentales qui ne
pouvaient concevoir un monde sans la bipolarité Est-Ouest ou la
destruction mutuelle assurée. Depuis la fable de Jéricho, à chaque fois
qu’un mur s’effondre, on entend sonner dans notre inconscient les
trompettes de la libération. Je me souviens que dans certains milieux proches de la gauche
haïtienne, on avait mal lu le mouvement insurgé du syndicat polonais
Solidarité, l’assimilant à un coup tordu de la CIA américaine. Rares
sont ceux qui à l’époque avaient compris que des millions de
travailleurs en rébellion contre un régime « pro-ouvrier » n’étaient
pas forcément des marionnettes téléguidés depuis Washington, et que
c’était le début d’un certain effet dominos. Comme quoi l’Histoire se joue parfois des prévisions des experts et
imprime son sens à la marche du monde en accompagnant celle des
peuples. La chute du Mur symbolisa la fin de régimes autoritaires
sensés porter l’espoir d’émancipation des peuples, mais qui en fait se
figèrent dans la logique des blocs et la mise sous coupe réglée de
leurs populations. Les quelques victoires sociales obtenues ça et là
n’ont pas allégé la charpe de plomb qui pesa lourdement sur les
libertés publiques. Et à la faveur du vent de réforme venu de Moscou et
initié par Mikhaïl Gorbatchev, des forteresses « communistes » jusque
là imprenables dans la logique militaire conventionnelle s’effondrèrent
comme châteaux de cartes sur un sol mouvant et en fusion annonçant un
nouveau « printemps » des peuples. Seulement, la fin officielle du socialisme est-européen conduisit à
un triomphalisme arrogant de l’ultralibéralisme qui fonctionna sur mode
de pensée unique. L’idéologie du tout marché apparu comme un nouvel
évangile qui entraîna une partie de l’humanité dans des croisades
post-modernes. Très vite, les réflexes ethniques et nationalistes
plongèrent une partie de l’Europe centrale et orientale dans une
nouvelle barbarie sectaire et meurtrière aussi obscure que les limbes
moyenâgeux. Au lieu de tirer les leçons de la lutte des peuples contre le
totalitarisme, on s’empressa de proclamer la victoire d’un camp sur un
autre et de considérer avec condescendance les peuples est-européens
comme les « sous-développés » de l’Europe à la recherche du mode de vie
« supérieur » de l’Occident. La globalisation à visage mercantile fera le lit d’un fanatisme
religieux qui, au Proche-Orient se substitua au vieux nationalisme
arabe pour définir une nouvelle polarisation de la planète. On est donc
loin de la fin de l’Histoire tel que l’avait prédit Francis Fukuyama,
au contraire on est revenu au scénario anticipé du « choc des
civilisations » et à la montée des périls religieux et fondamentalistes
qu’ils soient islamistes ou chrétiens extrémistes. Le Mur de Berlin est peut-être tombé, mais des murs se construisent
partout pour barrer la route aux peuples qui ont la misère à leurs
trousses. Un peu partout sur la planète se construisent des murs
anti-émigrés qui sont motivés par cette « peur des barbares » dont
parle Tzevetan Todorov dans son dernier livre. Ajouter à cela, il y à
ce qu’il appelle les murs virtuels que représentent aujourd’hui selon
lui, des frontières infranchissables, comme celles de l’Europe et qui
est connu dans le vocabulaire des émigrés comme « le mur de Schengen ». A la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique se construit
aujourd’hui un mur de plus de 3.000 Kms et qui coupe le continent comme
une poire. Mais loin d’être équitable, cette séparation vise surtout à
exorciser la peur de l’autre. Un peu comme « le mur d’Hadrien protégeait Rome contre les barbares ».
Par Roody Edmé