" Bonjour et Adieu à Aimé Césaire "
Aimé Césaire n’est plus ! Un mapou est tombé, comme on dit chez
nous. C’est toute une vision de nous-même, peuples caribéens, qui s’est estompé dans les brumes de la mort de
ce prince de la littérature antillaise.
Mais que dis-je ? Aimé Césaire n’est plus physiquement, mais son
patrimoine demeure vivant. Cette quête du « nègre fondamental »
est la négation des grands récits sur « l’universalité » d’une civilisation
unique; la vision de Césaire a donné un
grand coup de balai dans le fatras idéologique accumulé depuis le code noir.
Césaire, c’est l’affirmation d’un
soi caribéen, d’une identité nègre à la périphérie de la mère Afrique.
Celui qui un jour confia à son ami
Senghor « tu vois Léopold, plus nous serons nègres, plus nous serons
universels » a tracé les balises de l’émancipation du nègre nouveau. Celui
qui assume et accepte l’autre, dans une dialectique qui dépasse toute
victimisation.
Le phrasé somptueux de l’auteur du “cahier d’un retour au pays natal” a
nourri des générations de poètes et le souffle puissant de sa pensée a traversé tous les continents pour
proclamer le caractère engagé mais non dogmatique de la poésie.
Sa parole jaillit et rugit comme d’un geizer pour fustiger tous
les colonialismes en refusant toutes les formes de récupération ou glaciation
fussent-t-elles du matérialisme historique ou du surréalisme.
Il est avec Senghor de ceux qui revendiquent une certaine France, celle
de Lautréamont, de Rimbaud, de Mallarmé mais croise le fer avec l’autre France
, celle de l’exposition coloniale.
Le poète philosophe abhorre les clichés et affirme : « qu’il
ne suffit pas d’être antillais pour qu’un autre antillais vous aime » et
reconnaît les échecs d’une certaine Afrique. Mais son « mal
d’Afrique » n’est pas de l’Afro-pessimisme et, il croit dans l’Histoire
qui bâtit les possibles.
Césaire et ses amis Senghor, René Ménil et Goutran Damas ont cherché
dans leurs racines africaines pour extirper comme un diamant lumineux et
éternel, la beauté irradiante d’une civilisation nègre enfouie dans les régions
enténébrées d’une histoire faite par et pour les colons. Certains de ses jeunes
disciples en Martinique n’ont pas résisté à la tentation freudienne
de « tuer le père » au moment
même ou le député-maire de Fort-de-France se faisait l’avocat de la
départementalisation. Césaire a su tout de même accepter l’idée que l’hisoire est faite de dépassement, lui qui s’est
toujours méfié de la pensée unique.
Loin de tout essentialisme, l’héritage de Césaire s’inscrit dans un
dynamisme. Le soi personnel n’est pas un point de départ, il constitue un
aboutissement. On n’est pas soi-même, on le devient... et cette évolution
implique que l’on grandisse, que l’on accomplisse sur l’état précédent un
travail de négation au moins partielle.
Celui qui dans « Moi Lamenaire » disait habiter une « blessure sacrée » nous a quitté en la laissant encore béante; mais au moins nous a transmis par ses gênes litteraires un « instinct » positif de l’Histoire.
Roody Edmé