« Sa Kap fèt »
L’opinion publique a grand soif de savoir comment évoluent les
chantiers annoncés de la reconstruction. Tout le monde est conscient
que le temps passe vite et qu’on n’aura pas fini de reconstruire que
déjà les prochains cyclones pointeront leurs gueules menaçantes. Sans
oublier que la prochaine conjoncture électorale ne manquera pas de
biaiser les questions fondamentales dans une ambiance forcément
partisane. Or, pour que le peuple aille voter, il faut que la
démocratie commence enfin à délivrer, sinon il n’y croira plus dans le
changement par les urnes, ce qui sera la mère de toutes les dérives.
Le
gouvernement de Michèle Pierre-Louis doit débroussailler le terrain
pour que les autres partis politiques puissent planter et, de manière
optimiste, récolter. Sinon, c’est l’ensemble du processus démocratique
haïtien qui risque de souffrir d’une lourde panne de crédibilité et
d’entraîner pour longtemps la démobilisation des masses. Tout nouvel
échec ne sera pas celui d’un gouvernement, mais celui d’une génération
qui, à force de piloter un engin étatique programmé pour échouer, aura
donné à quelques amnésiques la nostalgie des années de braise.
C’est
dans ce contexte que je comprends la mise en place du nouvel agenda
législatif qui aura pour mérite d’accélérer les échanges entre les
Pouvoirs exécutif et législatif sur la transformation de l’État, et
surtout éliminer les entraves à la mise en place, enfin, de projets
porteurs. La Première ministre ne parle-t-elle pas de « réingénierie »
de l’État dans une perspective de rupture et de modernisation ?
Toujours
est-il qu’on espère que les nouvelles rencontres entre les Pouvoirs ne
se feront plus à l’ombre de la menace d’interpellation ou de renvoi du
gouvernement. Et que le gouvernement n’attendra pas, non plus, un
discours officiel pour informer le Parlement et la nation sur ses
initiatives. Le pays n’en sera que plus stable et les Haïtiens auront
d’autres choix que le culte du déclin et de l’auto-flagellation.
Dans
ce contexte, le huis clos de la semaine dernière au Parlement n’a pas
servi les deux Pouvoirs. Le gouvernement n’a pu publiquement dresser
l’état des lieux de la reconstruction, au grand dam d’une opinion
publique frustrée, alors que quelques sénateurs se sont livrés à des
critiques «floues » de la feuille de route tout aussi « floue » du
gouvernement. Aussi seuls ceux qui se trouvaient en ce moment dans la
cuisine du Parlement ont-ils su pourquoi la mayonnaise n’a pas pris ce
jour-là.
Toute chose qui n’a fait qu’ajouter au manque de visibilité
général qui entoure depuis longtemps le système politique haïtien qui
fait bon ménage avec l’obscurité et son corollaire, la suspicion.
Heureusement que les choses avancent de ce côté et qu’un effort est
fait pour diminuer les malentendus et susceptibilités à la faveur de ce
nouveau menu législatif qui donnera du grain à moudre à la machine
parlementaire. Tandis que l’Exécutif sera doté de nouveaux leviers pour
corriger une trajectoire programmée depuis trop longtemps.
Informer
est dans une telle situation plus que vitale. La décision
gouvernementale de mettre en place une cellule de communication au
ministère de la Culture devra aider l’opinion à comprendre comment
progressent les grands dossiers de la scolarisation universelle, du
maillage routier, de la modernisation des entreprises publiques...On
pourra s’enquérir d’un plan national en faveur de l’environnement.
On
a appris que le plan national énergétique se déploie avec la
coopération vénézuélienne et la Banque interaméricaine de développement
(Bid), que le programme national des bassins versants se poursuit sans
désemparer, que le repeuplement poissonnier de nos lacs a commencé.
Mais on voudrait comprendre pourquoi le bas de la ville croule autant
sous les déchets, pourquoi les eaux stagnantes à l’entrée de Matissant
et de Carrefour paraissent éternelles, pourquoi les « malè pandye »,
les mastodontes pourris et les débris mobiles continuent de faucher en
masse piétons et passagers? Quand donc commencera le grand partenariat
public/privé pour la culture ? Sur le modèle du document préparé par
des associations et fondations du secteur culturel à l’époque de la
transition. Et le projet de transformer l’ancien ciné Triomphe en un
Palais des arts ? Et pourquoi enfin les arriérés de salaires
constituent un horizon indépassable de l’État d’Haïti, comme pour
montrer qu’il est résolument tourné vers le passé ?
« Sa kap fet »,
se disent les Haïtiens quand ils se croisent dans les rues ; car savoir
c’est plus qu’un droit, c’est une raison d’espérer.
Une manière de remonter le moral des désespérés qui croient «qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil ».
Roody Edmé