L’ombre de 68 ?
Les feux de la contestation étudiante ont fait des ravages dans le
centre d’Athènes, la capitale de la Grèce. Le sang d’un jeune de seize
ans abattu par la police a fait germer les fruits amers de la colère
étudiante qui ont transformé le centre de la capitale grecque en zone
de conflits. Une semaine lourde de manifestations et un terrible bilan
sur le plan de la destruction des biens, tandis que la police
s’efforçait de ne pas commettre d’autres bavures sanglantes qui ne
manqueraient pas de plonger le pays dans une totale anarchie.
La
mort du petit Alexis a été la goutte de sang qui a fait déborder le
vase trop rempli d’une jeunesse en mal d’avenir. Celle d’une génération
surdiplômée, mais vouée à l’emploi précaire et qui se retrouve sans
boussole dans une société grecque en plein dans l’œil du cyclone de la
récession qui balaie la planète.
Les barricades d’Athènes sont en
fait l’avant-garde d’un soulèvement dont le magma incandescent bout
depuis quelque temps contre le gouvernement conservateur de Caramanlis
et son parti la Nouvelle démocratie. Un gouvernement dont les mesures
concernant le rétrécissement du budget alloué à l’éducation et le
manque d’opportunités pour les générations montantes ont été mal vécues
par les groupes de jeunes organisés au sein du vaste mouvement
anarchiste grec.
La crise politique, les scandales financiers sont
autant de chiffons rouges qui excitent un « taureau » que les partis
politiques et les syndicats ont du mal à saisir par les cornes. La
récupération du mouvement étudiant s’avère bien difficile en raison de
l’impuissance des structures politiques traditionnelles à donner une
forme politique institutionnelle à ce qui s’apparente à une amère
montée de bile.
La « foule délinquante », selon le titre d’un essai
du 19e siècle italien, qui a rasé 335 magasins, n’est pourtant pas
d’origine plébéienne ; qu’est-ce qui explique qu’elle soit autant
fascinée par le vide et la violence pure et dure et contagieuse qu’on
attribue trop souvent aux « partageux » ? C’est sûrement le fruit d’un
malaise qui a une explication économique, mais plus subtilement doit
participer d’une pathologie des sociétés malades de la crise du lien
social et où les valeurs de solidarité fondent comme beurre au soleil.
Des
slogans comme « État assassin » rappellent aux moins jeunes la révolte
des étudiants de l’École polytechnique en 1973 écrasée par les tanks du
général Papodopulos qui ne put malgré tout conserver le pouvoir ; et la
crise d’alors se propagea dans tout le Péloponnèse jusqu’à l’Ile de
Chypre, pomme de discorde d’avec les Turcs. Ce fut la guerre entre deux
alliés américains d’une Méditerranée mer de toutes les passions.
Le
miracle économique qui s’est transformé en mirage sous les effets
aveuglants de la crise mondiale est pour l’heure la cause la plus
apparente de cette nouvelle tragédie grecque.
Toujours est-il que
comme les incendies ravageurs de 2007 qui menaçaient de franchir les
limites du mont Palatin, les opinions publiques européennes craignent
désormais le syndrome grec.
Comme quoi nous serions au début d’un nouveau cycle quarante ans après une certaine année 1968.