« Des innocents aux mains sales »
Le vendredi 17 juillet, la marche en faveur de la protection de
l’environnement a été très sérieusement contrariée par un groupe de «
jeunes » manifestants qui estimaient ce jour-là avoir des causes plus
justes à défendre et qui en imposaient aux autres. On sait comment
finissent toujours les causes à prétention hégémonique qui justifient
toutes les dérives et autres gâchis, hélas sanglants, qui ont endeuillé
l’histoire des peuples.
On ne sait que trop ce que les vérités
révélées des « gourous » de droite comme de gauche ont fait du 20e
siècle, devenu le plus meurtrier de tous.
Il y avait toujours, par
le passé, au bout des pogroms et autres exterminations d’une classe ou
d’une race d’exploiteurs, la promesse d’un monde meilleur… débarrassé
des « exploiteurs » et des ennemis de l’humanité.
Tout cela s’est
terminé douloureusement avec des bilans plus ou moins désastreux et un
goût de fiel à la bouche de ceux qui n’ont pas malgré tout renoncé à
leurs idéaux.
Le commando de « jeunes » du 17 juillet avait la mine
et l’attitude hystérique de ceux qui pensent être « historiques », ceux
qui se croient tout permis, même d’interdire aux autres de s’exprimer,
les autres pris ici dans le sens de « zòt », les ennemis, les
intellectuels au service de classes dominantes, les paysans aliénés,
les artistes « sousous » des bourgeois. Sans parler du petit peuple
qu’il faut de force conscientiser par une avant-garde vociférante et
qui sait se faire menaçante. Cela commence à faire beaucoup de monde
dont il faudra se débarrasser et, après, il restera un pays « tout
propre », un pays de purs où règnera un turbulent silence, un monde à
penser unique, l’envers de l’autre que l’on dénonce aujourd’hui avec
une autre terminologie, mais pourri par la même peste de l’intolérance
et…de l’exclusion. Il ne peut pas s’agir, je crois, de remplacer une
exclusion par une autre, mais de construire un pays pour tous les
Haïtiens.
Ces « jeunes » à qui une culpabilité petite-bourgeoise
permet tout, pardonne tout, sont les gagnants solitaires et
totalitaires d’une expérience démocratique en panne de valeurs, d’un
déficit de citoyenneté et d’une exclusion qui fait le lit des
extrémismes.
La bataille démocratique en Haïti doit être ouverte et
non verrouillée autour de quelques revendications plus « justes » que
les autres. Beaucoup de ceux qui étaient « agressés » lors de la marche
avaient soutenu les revendications étudiantes, sans appuyer les casses,
mais l’extrémisme ne connait pas la nuance…et n’accepte que la fidélité
aveugle et la destruction sur ordonnance. L’Histoire est pleine de ces
cuisiniers de la terreur qui, de leurs fours crématoires, ont fait de
bien « sanglantes omelettes ».
Je ne sais si les actions du «
commando » de trublions ont été assumées par une quelconque
organisation étudiante, mais la méthode expérimentée ce vendredi relève
beaucoup plus d’une fascination pour le vide et la mode du « suicide
collectif » qui façonne les luttes politiques du nouveau siècle.
Déjà
en 1932, Berthold Brecht s’interrogeait : « Quand la culture en plein
effondrement sera couverte de souillures, presqu’une constellation de
souillures, un véritable dépotoir d’immondices ; quand les idéologues
seront devenus trop abjects pour s’attaquer aux rapports de propriété,
mais trop abjects aussi pour les défendre…quand les mots et les
concepts n’ayant quasiment plus rien à voir avec les choses, les actes
et les rapports qu’ils désignent…quand règnera la plus sanglante
censure de toute pensée, mais qu’elle sera superflue parce qu’il n’y
aura plus de pensée…oh, alors la culture pourra être prise en charge
par le prolétariat dans le même état que la production en ruines… ».
Ce
n’est nullement exagéré que de dénoncer les manifestations même «
juvéniles » de l’intolérance, de pointer du doigt une dérive
contre-productive pour les étudiants eux-mêmes et la sincérité de leur
lutte. S’il faut dénoncer le fait que « certains soient plus égaux que
d’autres », le chantage idéologique et la terreur intellectuelle ne
peuvent conduire qu’à des lendemains qui déchantent.
Ce vendredi 17 juillet, la queue mal dissimulée de la méduse totalitaire s’est pointée encore une fois au détour de nos rues.
Roody Edmé